RSE : pourquoi l'ISO 26000 pourrait changer en 2025
La norme ISO 26000, publiée en 2010, est un guide international destiné à aider les organisations à intégrer la responsabilité sociétale dans leurs pratiques. Elle couvre sept questions centrales : la gouvernance de l’organisation, les droits de l’homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, et l’engagement sociétal. Bien qu’elle ne soit pas certifiable, l’ISO 26000 sert de référence pour de nombreux labels RSE, tels que LUCIE 26000 ou engagé RSE de l’AFNOR (en France), aidant les organisations à structurer et évaluer leurs démarches responsables.
Le processus de révision en cours en 2025
En janvier 2025, l'AFNOR a initié une première consultation sous forme d’ateliers pour évaluer la nécessité de réviser l'ISO 26000. Cette démarche comprenait un webinaire introductif le 7 janvier 2025, suivi d'ateliers régionaux organisés entre le 8 et le 28 janvier 2025, visant à recueillir les avis des professionnels de la RSE sur les améliorations potentielles de la norme.
Animés de façon interactive, ces ateliers visaient à “dessiner les tendances et grandes orientations [à] donner à l’ISO 26000”.
À ce jour, les résultats de ces ateliers n’ont pas été communiqués mais ils ont visiblement rencontré un fort succès, avec 600 inscrits au webinaire national le 7 février dernier, et 350 inscrits aux ateliers organisés par notre réseau régional.
Pourquoi envisager une révision de l'ISO 26000 en 2025 ?
Depuis sa publication, le contexte mondial a considérablement évolué. L'adoption des Objectifs de Développement Durable (ODD) ou encore de l’Accord de Paris en 2015 a redéfini les priorités internationales en matière de développement durable. De plus, des avancées technologiques majeures, telles que l'essor de l'intelligence artificielle, et des défis environnementaux croissants, comme le changement climatique, ont émergé.
Ces évolutions réglementaires soulignent la nécessité d'aligner l'ISO 26000 avec les nouvelles exigences internationales en matière de durabilité et de responsabilité sociétale. Une révision de la norme permettrait d'intégrer ces développements, assurant ainsi sa pertinence pour guider les organisations dans un contexte mondial en mutation.
Évolutions réglementaires majeures depuis 2010
La directive CSRD : Vers une transparence accrue en matière de durabilité
La directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD) a été adoptée pour renforcer et standardiser les exigences en matière de divulgation d'informations non financières par les entreprises. Elle vise à améliorer la qualité, la comparabilité et la fiabilité des informations publiées sur les impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Les entreprises concernées doivent intégrer ces informations dans leur rapport de gestion ou publier un état de durabilité, selon un calendrier progressif débutant à partir de l'exercice 2024 pour les grandes entreprises cotées et les institutions financières.
Avant cela, en 2014, l'Union européenne avait adopté la directive sur le reporting extra-financier (NFRD), obligeant certaines grandes entreprises à divulguer des informations sur leurs politiques en matière d'environnement, de questions sociales, de droits de l'homme et de lutte contre la corruption. Cette directive a été révisée en 2022 pour devenir la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), étendant le champ d'application à un plus grand nombre d'entreprises et renforçant les exigences de transparence.
En février 2025, la Commission européenne a proposé la directive Omnibus, un ensemble de mesures visant à simplifier certaines réglementations sociales et environnementales européennes, dont la CSRD. L'objectif est de réduire les charges administratives des entreprises tout en soutenant la transition énergétique et la durabilité environnementale. Parmi les propositions figurent l'exemption d'environ 80 % des entreprises, principalement des PME, des obligations de la CSRD, ne maintenant ces exigences que pour les grandes entreprises définies par un seuil de 1 000 employés et 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ou 25 millions d’euros de bilan.
Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies
En 2015, les Nations Unies ont adopté les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD), fournissant un cadre universel pour aborder les défis mondiaux tels que la pauvreté, l'inégalité et le changement climatique. Ces objectifs ont influencé les stratégies RSE des entreprises, les incitant à aligner leurs actions sur ces priorités mondiales.
L'Accord de Paris et son influence sur les normes internationales
Adopté en 2015 lors de la COP21, l'Accord de Paris vise à limiter le réchauffement climatique bien en dessous de 2°C (et de préférence 1,5°) par rapport aux niveaux préindustriels. Cet accord a incité de nombreux secteurs à revoir leurs pratiques pour intégrer des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
En réponse, l'Organisation internationale de normalisation (ISO) a élaboré de nouvelles normes pour aider les acteurs non étatiques à atteindre des objectifs climatiques alignés sur l'Accord de Paris. Par exemple, des normes ont été développées pour l'évaluation de la vulnérabilité au changement climatique et le financement de l'action climatique, renforçant ainsi le rôle des normes internationales dans la mise en œuvre des engagements climatiques.
La directive européenne sur le devoir de vigilance (CS3D)
Au niveau européen, la directive (UE) 2024/1760, adoptée le 13 juin 2024, instaure un devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Cette directive oblige les entreprises de l'Union européenne, ainsi que certaines entreprises non européennes opérant dans l'UE, à identifier, prévenir, atténuer et mettre fin aux impacts négatifs de leurs activités sur les droits humains et l'environnement tout au long de leur chaîne de valeur. Les entreprises doivent également élaborer un plan de transition pour l'atténuation du changement climatique, aligné sur les objectifs de l'Accord de Paris.
De même que pour la CSRD, la réforme Omnibus est venue apporter des simplifications à la CS3D : ces propositions incluent notamment le report de l'application de la CS3D et la suppression de certaines obligations de diligence raisonnable pour les entreprises. De plus, la directive Omnibus prévoit des ajustements dans l'application de la taxonomie verte, visant à faciliter sa mise en œuvre par les entreprises.
Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières (MACF)
L'Union européenne a introduit le Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières (MACF), souvent appelé "taxe carbone européenne", pour appliquer un prix du carbone aux importations en fonction de leur contenu en carbone. Ce mécanisme vise à prévenir les fuites de carbone et à encourager les industries étrangères à adopter des pratiques plus durables.
ISO 20400 : Achats responsables
Publiée en 2017, la norme ISO 20400 fournit des lignes directrices pour intégrer la responsabilité sociétale dans les processus d'achat des organisations, complétant ainsi les principes de l'ISO 26000 en matière de chaîne d'approvisionnement responsable.
ISO 37001 : Systèmes de management anti-corruption
Également publiée en 2016, l'ISO 37001 établit des exigences pour mettre en place un système de management visant à prévenir, détecter et traiter les actes de corruption, renforçant ainsi les engagements éthiques des organisations.
ISO 59020 : Économie circulaire — Mesure et évaluation de la performance de circularité
Publiée très récemment, en 2024, la norme ISO 59020 définit des exigences et recommandations permettant aux organismes de mesurer et d’évaluer leur performance de circularité dans un système économique défini.
Positions divergentes sur la révision de l'ISO 26000
Le Shift Project
Le Shift Project, think tank dédié à la transition énergétique, s’était opposé à la révision de l'ISO 26000 qui avait été évoquée en 2020.
En collaboration avec l'Institute for Human Rights and Business, le Business & Human Rights Resource Centre et la European Coalition for Corporate Justice, ils avaient adressé une lettre au Secrétaire général de l'ISO en juin 2020.
Ils y exprimaient leur préoccupation selon laquelle la révision de l'ISO 26000 pourrait détourner l'attention du développement de lois internationales et nationales sur le devoir de diligence en matière d'environnement et de droits humains. Ils estimaient que la norme actuelle était alignée avec les principaux standards internationaux et qu'une révision n’était pas nécessaire.
ISO 26000 Stakeholders Global Network (SGN)
Plus récemment, le SGN a fait part de son avis à propos de la potentielle révision de l’ISO 26000 en 2025.
Dans sa déclaration de janvier 2025, le SGN souligne que la norme reste actuelle et utile. Ils insistent sur le fait qu'une révision crédible nécessiterait un processus similaire à celui utilisé lors de son élaboration initiale, impliquant une représentation équilibrée des parties prenantes. Pour rappel, en 2010 ce processus long de 5 ans avait abouti à un consensus entre de nombreuses entités : ONG, entreprises, institutions, etc.
À défaut, le SGN préconise de ne pas modifier la norme.
quels aspects réviser dans l’ISO 26000 ?
Plusieurs thèmes émergent comme prioritaires pour une révision de l'ISO 26000 :
Intégration des Objectifs de Développement Durable (ODD) : Aligner la norme avec les 17 ODD adoptés en 2015 permettrait aux organisations de mieux contribuer aux agendas internationaux en matière de développement durable (tout comme le font d’autres normes ISO comme celle de 2024 ISO 59020 sur l’économie circulaire)
Économie circulaire : Promouvoir des modèles économiques visant à réduire le gaspillage et à optimiser l'utilisation des ressources naturelles est devenu essentiel. Renforcer ces principes ainsi que la logique de cycle de vie dans l'ISO 26000 encouragerait les organisations à adopter des pratiques plus durables.
Responsabilité numérique : Avec la digitalisation croissante, il est crucial d'encadrer les pratiques numériques responsables, notamment en matière de protection des données, d'éthique de l'intelligence artificielle et d'impact environnemental du numérique.
Climat, biodiversité et limites planétaire : Depuis la création de la norme en 2010, les recherches scientifiques ont bien avancées, notamment avec la parution d’un nouveau rapport du GIEC en 2021, l’arrivée du concept de limites planétaires en 2009 ou encore l’adoption en 2023 du Traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (BBNJ). Autant d’éléments qu’il semble important de prendre en prendre en compte dans la future révision de l’ISO 26000.
Transparence et communication : Améliorer les recommandations concernant la transparence des informations et la communication avec les parties prenantes renforcerait la confiance et la crédibilité des démarches RSE, notamment dans un contexte où la réglementation sur la transparence s’est renforcée (CSRD, CS3D)
Convergence avec la révision de l'ISO 14001
La révision de l'ISO 26000 intervient parallèlement à celle de l'ISO 14001, la norme de référence pour les systèmes de management environnemental dernièrement révisée en 2015. L'AFNOR a lancé une consultation publique sur l'ISO 14001 du 4 février au 30 mars 2025, visant à recueillir les avis des parties prenantes pour actualiser la norme en fonction des défis environnementaux actuels.
Cette révision vise notamment à intégrer la double matérialité, c'est-à-dire la prise en compte à la fois de l'impact des entreprises sur l'environnement et des risques environnementaux pesant sur les entreprises — une exigence clé de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive).
Si l'ISO 26000 venait également à adopter la double matérialité dans le cadre d'une mise à jour, cela pourrait entraîner une redondance entre les deux normes. L'ISO 14001 étant centrée sur la gestion environnementale et l'ISO 26000 portant sur la responsabilité sociétale au sens large (environnement, droits humains, relations de travail, etc.), une convergence excessive pourrait semer la confusion chez les entreprises, notamment sur les exigences de reporting et d'audit.
La révision de l’ISO 14001 devrait également renforcer la logique de cycle de vie et d’économie circulaire.
Conclusion
La révision de l'ISO 26000 offre une opportunité précieuse d'adapter la norme aux réalités contemporaines et aux défis futurs. Et c’est aussi en participant activement aux consultations et en s'informant sur les évolutions normatives, que les organisations peuvent renforcer leur engagement en matière de RSE.
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